...Il y a quelques années, trente si je me fie à ma mémoire, j'ai traversé la moitié du pays en compagnie de bêtes trop souvent associées à la stupidité parce que mal connues.
Notre départ des vertes prairies normandes était assuré, et, si les chevaux nous accompagnaient, il ne pouvait en être de même de mes poules et de mes brebis ; non pas toutes, mais quatre, élevées au biberon et fondatrices du modeste troupeau qui avait patiemment enduré mes soins de bergère débutante, certes, mais dévouée à la cause.
Un sanctuaire acceptait d'accueillir mes brebis (Texel et Rouges de l'ouest) et mes poules apprivoisées (Naines mais teigneuses) et je n'avait plus qu'à...en fait jusqu'en Auvergne, berceau de ma famille.
En prévision de cette équipée, qui pouvait vite devenir sauvage en cas de pépin (le portable n'était même pas dans la tête de son inventeur), nous avons aménagé le véhicule familial - une Lada break rouge, la voiture low_cost d'alors- en tapissant tout l'arrière de bâches en plastique, idéales pour contenir cette gent à plumes et à laine. Décision fut prise de voyager de nuit, les moutons étant sensibles à la chaleur ; or nous étions à la mi-juillet, le 13 exactement.
C'est donc seule, enfin humainement parlant, que je quittais la chaumière, résolue et super-contente d'éviter le couteau du boucher -pas moi, les brebis.
Les premiers kilomètres faillirent m'inciter à renoncer : si les poules s'en fichaient parce que quand il fait noir elles dorment, en revanche, les moutons exprimaient bien haut leur désarroi. Et quatre moutons qui vous bêlent à l'oreille voire dans le cou, il faut vraiment la profonde conviction que vos principes vous interdisent de faire autre chose que de les sauver !
Finalement, elles ont consenti à se coucher. Mais....nous devions traverser des agglomérations, et la nuit était nuit de flonflons et de bals et de feux d'artifices. A chaque feu rouge auquel je stoppais, les brebis se mettaient sur leur pattes et bêlaient à fendre l'âme. Nous avons laissé bien des automobilistes sidérés, mâchoire béante et moteur calé...
le soleil commençait déjà à bien chauffer la voiture et ses passagers lorsque nous avons atteint notre objectif. Ma cousine avait ouvert grand les portes de l'étable et j'y ai engouffré l'équipage avec soulagement. Il a fallu une bonne heure pour que les brebis calment leur respiration haletante et puissent gagner les herbages qui étaient dorénavant les leurs. Elles ont encore brouté longtemps l'herbe auvergnate -elles étaient "sacrées"- et ont répondu fidèlement à mes appels à chacune de mes visites.
La voiture ne s'en est jamais remise : jusqu'au bout, elle a pué le suin de mouton, au grand dam des usagers autres que moi.
Mais quel rapport avec le CLT et son mal des transports ? Aucun, j'assume, si ce n'est le constat que voyager en voiture avec des bêtes n'est pas toujours une mince affaire.
|